Remarques Sur Les Versions Nouvelles Du Nouveau Testament

et en particulier sur celle de M. le prof. Hugues Oltramare de Genève.

W. J. Lowe

Première édition: 1873

Présente édition: Mai 1997 — N° DI001

D.S.L. 34, Grand Rue 30340 Célas (France)

Préface de la présente édition

L’auteur de cette brochure, W. J. Lowe, était l’un de ceux qui a le plus notablement collaboré avec J.N. Darby au Nouveau Testament dit de Pau-Vevey, paru en 1872. Cette brochure est parue peu après, en 1873, à Genève.

L’auteur examine les versions nouvelles à cette époque et avertissait ses frères en y montrant ce que l’incrédulité, la présomption et l’imagination de l’homme s’étaient permis dans la traduction de la sainte Parole de Dieu. Ces versions d’alors sont depuis tombées dans l’oubli, aussi on pourrait penser que ce petit écrit a perdu sa raison d’être. Malheureusement l’incrédulité, la présomption, l’orgueil et l’incurie de l’homme sont toujours bien vivaces, et plus encore maintenant qu’alors; et leurs tristes résultats marquent les versions actuelles.

Cet écrit constitue donc encore pour nous actuellement une mise en garde et une invitation à réfléchir, afin que nous ne recevions pas aveuglément les traductions qui se publient actuellement simplement parce qu’elles sont imprimées, parce qu’elles sont nouvelles, parce qu’elles sont largement diffusées, parce qu’elle sont recommandées par beaucoup ou parce que leur auteur affirme lui-même les éminentes qualités de sa propre traduction.

Nous avons donc à rechercher, avant d’accorder ou non notre confiance à un traducteur, si cet homme s’est tenu devant Dieu, soumis, conscient de sa petitesse devant la grandeur de la Parole et s’il a traduit avec la révérence qui convient ou bien s’il se confie dans ses capacités et qu’il considère les choses profondes de Dieu comme des choses humaines, à sa portée, et qu’il les traite comme telles.

S.L. — Mai 1997

Avant-propos de l’auteur

Quelles que soient les imperfections du travail que l’on présente ici au lecteur, l’auteur espère que la gravité des tendances religieuses actuelles lui servira d’excuse auprès de ceux qui aiment Dieu et qui se soumettent à sa Parole. Les Saintes Écritures devraient être la base de tout enseignement religieux: elles sont la seule pierre de touche du fidèle pour juger de ce qu’il entend. Une traduction qui les altérerait, priverait le chrétien d’une partie de ses armes. Il a donc le droit d’exiger que la Parole de Dieu lui soit fournie dans son intégrité primitive. Ce besoin est, pour lui, d’une importance capitale, et les nouvelles versions qui se succèdent de nos jours en sont la preuve. La bonté de Dieu présente, pour la satisfaction de ce besoin une quantité de découvertes d’anciens manuscrits. La critique intelligente de ces documents, et la traduction exacte et fidèle du texte grec ainsi épuré doit répondre au désir que l’on a de sonder les écrits inspirés laissés à l’Église par les apôtres du Seigneur. Or, il vient de paraître à Genève une version aussi nouvelle dans son caractère que dans sa forme; le texte grec, auquel nous sommes habitués, y est considérablement altéré; et la seule indication que l’on trouve de ces changements sont des astérisques, ou de courtes notes, souvent peu intelligibles. Il a donc semblé qu’une rapide analyse de cette version était un devoir envers l’Église de Christ, devoir auquel on ne pouvait se soustraire. C’est dans ce sentiment que l’auteur a entrepris son travail, regrettant seulement qu’il ne soit pas dû à une plume plus habile et que la publication en ait été retardée jusqu’à présent.

W. J. Lowe — Janvier 1873

Remarques Sur Les Versions Nouvelles Du Nouveau Testament

Dans ce siècle où le droit de “libre examen” s’affirme partout, nous avons un sujet de profonde reconnaissance envers Dieu: c’est que l’on ait été conduit à s’occuper aussi de sa précieuse Parole dans le but de la posséder telle qu’elle a été écrite dans les langues originales; telle qu’elle a été lue et comprise par ceux à qui, d’abord, elle fut adressée.

Deux causes ont contribué à faire perdre, dans une certaine mesure, le sens exact de l’original:

1° Des fautes se sont glissées dans le texte par la négligence des copistes, alors que la Parole de Dieu n’existait que sous forme de manuscrits; ou bien, des changements ont été introduits dans ces manuscrits par des personnes qui, dans leur ignorance du vrai sens, l’altéraient, soit en s’efforçant de l’expliquer, soit en essayant de l’harmoniser avec d’autres passages des Écritures.

2° Les langues de tous les pays subissent, dans le cours des âges, des changements qui modifient le caractère de la société et les relations des hommes entre eux: de là l’obligation de rectifier, de temps à autre, les versions faites dans chaque langue, afin de conserver le sens de l’original.

Il en résulte que, sans parler de tout ce qui a été fait pour améliorer les traductions de la Bible dans les langues modernes, on trouve, dans les langues anciennes, des versions qui diffèrent entre elles quant aux détails et aux formes d’expression. On peut citer comme exemple, l’ancienne version latine du Nouveau Testament. Elle existait dès le deuxième siècle; et fut plus ou moins remplacée par la Vulgate à la fin du quatrième siècle. De même, la version syriaque, dite Peshito, la plus ancienne de toutes, n’empêcha pas qu’on n’en fît une autre au sixième siècle.

Ces soins et ces efforts prodigués à la Parole de Dieu, dès l’époque la plus reculée, ne sont pas seulement une preuve de son importance aux yeux des croyants, mais aussi de la bonté souveraine du Dieu qui a veillé sur elle, et qui a accordé à chaque peuple le privilège indicible de la posséder aussi pure que possible dans sa propre langue.

On peut même ajouter que l’énergie et le talent déployés par les hommes pour attaquer les Saintes Écritures n’ont fait que confirmer leur authenticité; qu’établir leur absolue et suprême autorité. En effet, un être raisonnable ne dépenserait pas son temps et son activité à renverser une chose qui, sans ses efforts, ne manquerait pas, avec le temps, de tomber d’elle-même: “Toute chair est comme l’herbe, et toute sa gloire comme la fleur de l’herbe; l’herbe est séchée et sa fleur est tombée; mais la Parole du Seigneur demeure éternellement.”

Lorsqu’un homme accusé sent que l’accusation est fondée, un seul moyen lui reste pour chercher à échapper à la sentence: c’est de mettre en question la compétence du Juge. De là vient que les hommes font tous leurs efforts pour infirmer l’autorité suprême de la Parole de Dieu et pour établir leur droit de la soumettre à l’examen de leur raison, afin de pouvoir en accepter ou en refuser ce qu’ils veulent. Or, ces efforts mêmes sont la preuve que la conscience, placée sous l’action de la Parole divine, est obligée d’accepter l’autorité souveraine de ce tribunal qui juge et condamne l’homme. A ce point de vue, que devient le droit de “libre examen”?

Dans sa Parole, Dieu nous montre ce que nous sommes, mais en même temps et surtout, Il se révèle Lui-même, Il nous appelle à une communion parfaite avec Lui-même; et, dans ce but, tout en ôtant le péché qui rendait sa communion impossible, Il nous donne, par son Esprit, l’intelligence pour connaître “le Véritable”. Sans la révélation de Dieu, nous ne pourrions le connaître; le péché nous en a rendus incapables. Une sagesse infinie a choisi et arrangé les termes dans lesquels le Saint Esprit daigne nous faire ses communications. Combien n’est-il donc pas important de conserver, autant que possible, la force exacte de chacune de ses paroles, et de ne pas chercher à expliquer, dans une traduction, ce qui n’est pas clair dans l’original! Celui qui est le mieux instruit dans les Écritures ne connaît après tout qu’en partie, et il se peut qu’il se trompe quand il veut donner le sens d’un passage. — Se borner à donner le sens des mots et laisser parler l’Écriture, là où elle est obscure, voilà le rôle du traducteur consciencieux. Mais, pour cela, il faut qu’il soit soumis à l’Esprit de Dieu et à la Parole même; qu’il n’agisse pas comme l’auteur d’un ouvrage purement humain qui cherche à faire tout plier — langage, force et tournure d’expression — sous les efforts de son propre génie et sous les élans de sa propre imagination.

“Toute Écriture est inspirée de Dieu”; il importe donc de conserver, autant que possible, les mots aussi bien que le sens de chaque passage. Une traduction doit être aussi littérale que le génie de la langue le comporte, lors même qu’on risquerait, parfois, de se servir d’expressions peu élégantes. La vraie difficulté est de conserver le sens exact de l’original, en le reproduisant dans une traduction littérale qui soit, en même temps, agréable à lire et facile à saisir par un lecteur ordinaire.

Pour recevoir une traduction avec confiance, il faut examiner en présence de Dieu si la main de l’homme, toujours faillible, n’y a pas porté atteinte aux vérités éternelles, objets des oracles divins révélés dans une autre langue.

Mais il y a une question préalable plus difficile à résoudre: celle des mots exacts du texte original. Les variantes mises au jour par une étude approfondie des manuscrits que l’on a retrouvés, aident beaucoup, et aideront toujours plus, à rétablir le texte dans son intégrité primitive; mais en attendant que l’on puisse, si jamais on y arrive, constater avec une autorité absolue qu’on a retrouvé le texte original, il faut distinguer entre le travail de ceux qui scrutent religieusement la Révélation que Dieu leur a confiée, et l’audace de ceux qui cherchent à prouver, par les défauts et les contradictions qu’ils croient y rencontrer, que toute l’Écriture n’est pas divinement inspirée. Or, “Dieu aura gain de cause quand Il sera jugé.”

Nous venons de placer devant le lecteur quelques-unes des difficultés que le traducteur rencontre dans son travail; avant de parler des dernières versions qui ont paru, nous voudrions rappeler ici deux ou trois points saillants de l’histoire des textes.

Un des fruits de la Réformation a été le besoins de posséder les Saintes Écritures dans les langues vivantes; les réformateurs s’appliquèrent avec courage à y répondre; l’invention de l’imprimerie seconda puissamment leur entreprise, en leur fournissant l’occasion de donner la plus grande publicité possible à leurs travaux. Des hommes lettrés se servirent de ce moyen pour répandre le texte grec du Nouveau Testament; d’autres hommes se dévouèrent à mettre les Saintes Écritures à la portée de chacun, dans sa langue maternelle.

Érasme, Alcala, Étienne et Théodore de Bèze

Le texte grec qui servit de base à toutes les traductions des réformateurs fut, quant au fond, celui que publia Érasme. Si peu qu’il en différât, il était certainement inférieur à celui qui avait été préparé sous la direction du cardinal Ximenès, à Alcala. Ce dernier texte, quoique achevé deux ans avant la publication de l’édition d’Érasme, ne vit le jour que quatre ans plus tard, en 1520, après avoir reçu l’autorisation formelle du pape Léon X. Malheureusement, Érasme s’était trop hâté dans son travail. Partageant le désir de son imprimeur, Fröbenius, de devancer coûte que coûte le cardinal, il prit dans la bibliothèque de Bâle les meilleurs manuscrits qu’il y trouva, et qui dataient du quinzième et du treizième siècles, et les livra presque tels quels à l’imprimeur, sans se donner le temps de les collationner avec d’autres manuscrits, pour corriger des passages évidemment fautifs. Se livrer à une critique approfondie du texte aurait été une tâche gigantesque, sinon impossible, au point où en était alors la connaissance des manuscrits; mais rien ne peut excuser, ni la hâte qui caractérisa l’impression de la première édition d’Érasme, ni la hardiesse d’oser retraduire, du latin en grec, quelques versets de l’Apocalypse qui manquaient totalement dans le manuscrit dont Érasme se servit, et où le texte se trouve intercalé dans un commentaire. Dans ses deux dernières éditions, Érasme profita de la publication de la Bible d’Alcala pour corriger quelques-unes de ses leçons, et Robert Étienne de Paris (1550), ainsi que Théodore de Bèze, se servirent des deux textes pour préparer leurs éditions, en y apportant quelques corrections d’après d’autres sources tout aussi récentes; car, comme Érasme, le cardinal Ximenès n’avait eu à sa disposition que des manuscrits comparativement modernes.

Les Elzevirs

Un siècle après la publication de la dernière édition d’Érasme, les Elzevirs de Hollande (qui avaient reproduit un texte peu différent de ceux d’Étienne, de Théodore de Bèze et d’Érasme) lui attribuèrent, dans la préface de leur seconde édition (1633), le titre de “texte reçu de tous”. C’est là le texte que tous les traducteurs modernes ont aveuglément suivi jusqu’à nos jours.

Quoiqu’il en soit, Dieu a veillé sur sa Parole; et tous ceux qui ont étudié les manuscrits et leurs leçons sont forcés de reconnaître que sa main providentielle a dirigé non seulement la rédaction du texte, mais aussi les traductions. Ainsi, la connaissance des anciens manuscrits ne fait que préciser ce qui était plus ou moins douteux, et mettre en évidence les fautes et les changements introduits par des copistes qui ont voulu harmoniser des passages en apparence contradictoires ou plutôt différents dans l’expression; ou qui, pour toute autre raison, ont modifié le texte original. Dieu n’a pas permis que l’authenticité de certains passages de sa Parole fût mise en question avant que le travail infatigable de plusieurs érudits eût produit assez d’évidence pour mettre chacun à même de se convaincre de la justesse des diverses leçons. Pour ce qui est de ces leçons, dans la plupart des cas, l’évidence interne laisse peu de doute dans l’esprit de ceux qui sont habitués à sonder l’Écriture sous la direction de l’Esprit de Dieu, et non pas avec la sagesse des hommes (1 Cor. 2:13).

Si, par exemple, Érasme n’avait eu que le manuscrit le plus ancien qui soit connu aujourd’hui (celui du Sinaï), il nous aurait transmis, sans parler des fautes, quelques leçons qu’on ne peut nullement accepter et aurait laissé de côté, pour le moins, deux précieuses portions des Évangiles, tandis que maintenant l’on est à même de profiter pleinement du témoignage inestimable de ce manuscrit, qui est le plus complet de tous, et d’apprécier à leur juste valeur les innombrables corrections qu’il a subies. En effet, beaucoup d’autres manuscrits, et des versions plus anciennes qu’aucun manuscrit, confirment ou condamnent les leçons du manuscrit de Sinaï, qui lui-même n’était, après tout, qu’une copie.

Ce n’est que tout récemment qu’on a osé présenter au public des traductions tenant compte de leçons plus anciennes que celles de l’édition des Elzevirs. Si nous limitons nos observations à ce qui a été fait en langue française,* les premières traductions qui se soient écartées du “texte reçu” sont celle de M. le pasteur Arnaud et celle de M. le professeur Rilliet, imprimées toutes deux en 1858; l’une à Paris, l’autre à Genève.{*Les traductions catholiques suivent généralement la Vulgate latine, version ordinairement très fidèle, surtout si l’on en excepte l’étrange interpolation qui se trouve dans 1 Jean 5:7-8, qui s’est glissée dans un grand nombre de copies, après le neuvième siècle, et qui, de là, a passé dans le texte reçu. En effet, les mots: “dans le ciel, le Père, la Parole et le Saint Esprit, et ces trois sont un; il y en a aussi trois qui rendent témoignage sur la terre,” ne se rencontrent tout au plus que dans trois manuscrits grecs, tous du seizième ou du dix-septième siècle; et encore, dans ces manuscrits, le passage est traduit du latin! Sauf la Vulgate, aucune version ancienne ne le renferme. Aucun père grec n’en eut connaissance, pas plus que les anciens pères latins. Luther ne les admettait pas non plus.

On peut ajouter que les meilleurs manuscrits de la Vulgate sont presque toujours d’accord avec les anciens manuscrits grecs à lettres onciales. M. Lamennais, dans sa traduction (Paris, 1851), indique quelques différences entre la Vulgate et le texte reçu.}

Arnaud

M. Arnaud tient compte des travaux critiques de Griesbach, Knapp, Tittmann, Scholz, Lachmann et Tischendorf. Comme il nous le dit, il a arrêté un texte qui est, à peu de choses près, celui des éditions de Knapp et de Tittmann, devenues presque classiques depuis que la première a été révisée par Theile (1841) et la seconde par Hahn (1840). Dans le plus grand nombre des cas, il n’a pris parti contre le “texte reçu” qu’avec la plupart des critiques susmentionnés, souvent avec tous. Ces changements sont indiqués dans les notes avec les autorités qui les admettent ou qui les combattent.

Il n’est pas nécessaire d’ajouter ici une appréciation d’un travail qui a été si bien accueilli. Comme pionnier dans cette branche de la critique en langue française, M. Arnaud mérite toute notre reconnaissance. Les grands soins qu’il a apportés à la traduction et à la révision du texte, attirent d’emblée notre confiance.

Cinq ans plus tard, en 1863, M. Arnaud publia un commentaire dans lequel était intercalé son texte primitif, revu et corrigé à l’aide des ouvrages qui avaient paru dans l’intervalle.

Dans un premier essai fait en vue de purger le texte des Elzevirs et d’en présenter une nouvelle traduction, il n’était guère possible de procéder autrement que ne l’a fait M. Arnaud. Il en a appelé aux travaux critiques qui, depuis le commencement du siècle, ont été l’objet du sérieux examen des hommes compétents. Se hasarder à donner un texte à soi, d’après l’étude des manuscrits eux-mêmes, aurait été prématuré. En effet, les dernières dix années ont été fertiles en découvertes de manuscrits nouveaux; de plus, les travaux infatigables de Tischendorf ont mis aujourd’hui à la portée des traducteurs une quantité considérable de matériaux critiques qui leur permettent d’apprécier avec justesse les mérites comparatifs des leçons contestées.

Quant à la traduction elle-même, on ne peut l’accuser de pécher du côté du littéralisme. Il s’y trouve parfois, à l’instar de la version Ostervald, des efforts d’interprétation qui nuisent à la clarté de l’original. Il suffira de citer comme exemple 2 Corinthiens 5:21: “car il a traité pour nous comme un pécheur, celui qui n’a jamais connu le péché, afin que nous devenions justes devant Dieu par lui”. Il est vrai que l’on donne en note la traduction littérale de la première partie: “il a fait[être] péchépour nous celui qui n’a pas connu le péché”. Mais, en revanche, l’expression: “afin que nous devenions justes devant Dieu par lui”, ne rend nullement l’idée de l’original, qui est: “afin que nous devinssions justice de Dieu en lui.”*

{*Comparez, à cet égard, le commentaire excellent que donne de ces paroles M. Adolphe Monod (Adieux, 4e édit. p. 18). Il est digne de remarque, que l’un des défauts de la version allemande de Luther est reproduit dans sa traduction de ce verset. Quoiqu’il insistât extrêmement sur la justification par la foi, il lui aurait, sans doute, semblé trop fort de dire: “afin que nous devinssions justice de Dieu en Lui”; de sorte qu’il rend le passage par une paraphrase qui s’éloigne du grec plus que celle de M. Arnaud, tout en laissant voir l’effort qu’a fait l’auteur pour conserver les mots de l’original. Luther dit: “afin que nous devinssions en lui la justice qui compte devant Dieu”.}

Rilliet

La version de M. Rilliet a été faite sur le manuscrit du Vatican du quatrième siècle, reconnu comme le plus ancien de tous après celui du Sinaï. Elle est accompagnée de notes nombreuses où se trouvent les leçons de plusieurs autres manuscrits à lettres onciales, ainsi que celles de versions anciennes. M. Rilliet, comme il nous le dit dans sa préface, n’a pas voulu s’aventurer à décider quel manuscrit faisait autorité pour telle ou telle leçon; mais, en indiquant les variantes, il fournit à ses lecteurs le moyen de le faire. Il a préféré traduire un texte réel, le plus ancien qui fût alors connu, mais il fait avec justesse cette remarque: “Nous ne pouvions, en effet, accorder à un manuscrit unique, quelle que fût son antiquité, la prérogative de représenter, à lui tout seul, le texte des premiers siècles, ni laisser croire que, par une vénération mal entendue, nous voyions en lui le type exclusif de ce texte original qu’il n’est plus possible de reproduire dans sa native intégrité. Le manuscrit du Vatican est une autorité qui peut et qui doit, par conséquent, être contrôlée”.

On ne saurait trop apprécier l’édition de M. Rilliet comme livre à consulter, soit à cause des variantes, soit à cause de la traduction, qui fait preuve, en général, de fidélité et d’intelligence. Mais quand il s’agit de mettre la Parole de Dieu entre les mains du lecteur ordinaire, il est évident qu’on ne peut se borner à la traduction d’un seul manuscrit dont il est possible de corriger les défauts. Quelle que soit la difficulté, il faut choisir entre les autorités qui se présentent et en user sous le regard de Dieu, en comptant sur l’aide de son Esprit. Au reste, il y a un sérieux inconvénient à donner des variantes, si l’on ne présente pas, en même temps, le moyen de juger de leur valeur, à ceux qui n’ont ni le temps, ni l’occasion de parcourir les livres qui traitent de ce sujet embarrassant. On jette ainsi l’incertitude sur tout et l’on ne décide rien. Mieux vaut adopter, sans commentaire, tout ce qui est bien établi, et constater avec plus de détails la nature et le caractère du doute, là où il existe.

Quant aux choix qu’a fait M. Rilliet du manuscrit appelé: “Codex Vaticanus”, ce manuscrit est non seulement l’un des plus anciens, mais un des meilleurs de tous. Il appartient à la famille dite “alexandrine”. Or, le résultat général des travaux critiques tend à faire adopter les leçons alexandrines comme celles qui se rapprochent le plus du texte original. Elles sont d’ailleurs, en général, confirmées par les anciennes versions. Plusieurs critiques, qui, comme Scholz, ont commencé par donner la préférence aux manuscrits appelés byzantins, ont fini par abandonner plus ou moins le système qu’ils avaient adopté. L’évidence interne, dans un grand nombre de cas, a justifié leur décision; c’est ce qui explique l’accord assez général qui existe entre les éditions modernes du texte grec. Or, les traductions reproduiront nécessairement cet accord en ce qui concerne les variantes.

Vevey

Les éditions de MM. Arnaud et Rilliet furent bientôt suivies par une troisième, qui parut à Vevey en 1859. Elle prenait pour base les éditions grecques de Griesbach, Matthæi, Scholz, Lachmann et Tischendorf; elle rejetait le “texte reçu” toutes les fois que ces éditons étaient d’accord pour le rejeter; elle l’admettait toutes les fois que ces critiques n’étaient pas d’accord entre eux; suivant ainsi, à peu près, la méthode de M. Arnaud. Outre cela, la traduction était plus littérale et plus fidèle qu’aucune des précédentes.

Ce travail fraya le chemin à une seconde édition de cette même version, publiée dans le courant de l’année passée (1872). Elle remplit, pour la première fois, à notre avis, les conditions que nous avons exposées plus haut. La préface donne, au lecteur ordinaire, des directions suffisantes pour qu’il puisse juger de la valeur respective des manuscrits. Les leçons généralement acceptées ou bien établies, sont adoptées, sans autre commentaire qu’une simple indication pour chaque déviation du “texte reçu”.

Quand il y a des difficultés, elles sont indiquées avec les autorités pour ou contre telle leçon, toutes les fois que cela a paru nécessaire. Quelquefois il s’y trouve des données assez intéressantes sur l’origine des variantes. Les notes renferment encore des renseignements sur l’emploi et la signification des mots grecs qui, pour leur traduction, présentent plus ou moins de difficulté. Le texte de la traduction est, au fond, celui de la première édition, mais amélioré en plusieurs endroits et arrangé de manière à reproduire, en français, l’original grec aussi exactement que possible.

Oltramare

La publication de la seconde édition de la version de Vevey a été devancée de quelques semaines par celle de M. Oltramare, de Genève. Cette dernière s’écarte du “texte reçu”, sans donner d’autre autorité que celle de Tischendorf et le jugement de l’auteur; dans la traduction elle-même, on trouve aussi des éléments nouveaux. Ce travail mérite, de notre part, un sérieux examen; d’abord à cause de l’autorité que la Compagnie des Pasteurs de Genève lui a conférée en l’adoptant; puis, parce que sa forme est populaire et non pas critique.

Dans la préface de cette version, on a noté trois passages que le traducteur a conservés dans le texte, mais en les mettant en italiques et entre crochets. Je ne dirai rien de Matthieu 6:13, vu qu’il y a assez d’évidence, externe et interne, pour que tous les éditeurs aient rejeté la fin du verset. Il faut pourtant remarquer que l’on a ici un exemple du système dangereux suivi par l’auteur. En lisant la préface, on pourrait supposer que les trois passages doivent être rejetés ou acceptés d’après la même autorité. Que dira donc le lecteur quand il apprendra que ce n’est nullement le cas? Pour rejeter Marc 16, 9-20, on n’a que l’autorité de deux manuscrits (les plus anciens, il est vrai) et quelques exemplaires de certaines versions anciennes; mais d’autres exemplaires de ces mêmes versions, ainsi que les autres manuscrits et toutes les autres versions (dont quelques-unes plus anciennes qu’aucun manuscrit), sont d’accord pour admettre ce passage qu’Irénée a déjà cité au deuxième siècle.

Il n’en est pas ainsi de Jean 8:1-12, dont nous parlerons tout à l’heure. Pour le moment, nous voulons seulement montrer que le système adopté par M. Oltramare, pour le choix du texte, n’est guère propre à inspirer de la confiance au lecteur. On aura peine à croire que, dans le chapitre 25 de Luc, il ait mis de côté deux versets entiers (v. 12 et 40) uniquement sur l’autorité d’un seulmanuscrit du sixième siècle, et sur celle de quelques exemplaires, soit de l’ancienne version latine, soit de la version syriaque. Il en est de même de Matthieu 21:44.* — Il est évident que si, pour des raisons aussi futiles, l’on rejette des passages, sans même fournir au lecteur l’occasion d’en juger, il ne reste aucune garantie pour l’exactitude du texte qu’on a adopté. Dans tous ces cas, et dans plusieurs autres que nous pourrions signaler, l’évidence interne est concluante en faveur des passages que l’on voudrait ainsirejeter.

{*Le fait que le verset de Matthieu 21:44 se retrouve en Luc 20:18, ne prouve rien. Il se peut que l’introduction du verset 43 (qui est particulier à Matthieu) ait donné lieu à des copistes, de penser qu’il devait remplacer le verset correspondant dans Luc, et qu’ainsi ils aient retranché le verset 44. Or, il faut rappeler que Matthieu, aussi bien que Luc, s’occupe du jugement d’une manière spéciale; ce qui n’a pas lieu pour Marc et pour Jean (comparez l’addition des mots: “et de feu” (Matthieu 3:11; Luc 3:16) en parlant du baptême du Saint Esprit). Quant aux versets 12 et 40 de Luc 24, ils ne sont pas textuellement les mêmes que ceux qui y correspondent dans l’évangile de Jean; la différence entre eux fait ressortir le caractère de l’évangile de Luc, et ne laisse aucun doute sur leur authenticité.}

On nous dit, dans la préface, que M. Oltramare a cherché à donner pour base, à son travail, ce qu’il y a de plus sûr en fait de texte grec; puis on ne nous cite que deux ou trois passages isolés qu’on entoure de marques de discrédit, sans dire un mot à l’égard de plusieurs autres, qui ont été changés ou rejetés pour des raisons tout à fait insuffisantes. Ne faut-il pas convenir qu’un tel procédé a pour effet de donner une fausse sécurité au lecteur confiant?

Quant à ce qui concerne Marc 16:9-20, on a souvent fait remarquer à quoi tient, au verset 9, le changement dans le courant de la narration. Le verset 7 ayant dirigé les pensées vers la Galilée (comme dans Matthieu 28), le verset 9 reprend, dans un but spécial, le récit des circonstances arrivées au jour de la résurrection du Seigneur; de là vient la difficulté qu’on a trouvée dans le passage. Mais quand on l’examine attentivement, il est impossible de ne pas y reconnaître une harmonie divine avec le reste de l’évangile de Marc. Aucun autre évangile ne fait autant ressortir l’incrédulité du cœur naturel, se reproduisant sans cesse, malgré les preuves les plus convaincantes de la puissance et de la fidélité du Seigneur Jésus. Mais, en même temps, nul autre ne montre, avec la même clarté, cette patience infatigable de Jésus Christ, le parfait serviteur de Dieu, qui ne voulait pas abandonner ses disciples avant de les avoir associés à Lui, dans son service, malgré toute la dureté de leur cœur et leur peu d’intelligence (comparez chap. 8:17-18).

On peut ajouter que Marc insiste tout particulièrement sur la résurrection comme sur ce qui fortifie le cœur du serviteur de Dieu, dans un monde où la mort règne à cause du péché (comparez chap. 9:1-10 avec 2 Corinthiens 1:9). Qu’il est beau de voir, à la fin, toutes ces choses réunies en quelques versets! La lenteur des disciples à croire à la résurrection du Seigneur, ne fait que mettre en saillie la condescendance de sa grâce. Il leur apparaît à plusieurs reprises; Il rassure leurs cœurs tout en leur reprochant leur incrédulité; Il leur donne la commission d’aller prêcher; puis lorsque, enfin, ils agissent en conséquence, et commencent leur œuvre sur la terre, le Seigneur, étant déjà assis à la droite de Dieu, les soutient par sa toute-puissance; coopère avec eux; et confirme la Parole par des signes qui l’accompagnaient. Le dernier verset du chapitre suffit, à lui seul, pour mettre hors de doute les rapports qui existent entre le passage en question et le reste du livre, et pour établir son authenticité comme partie intégrante de l’Évangile; il est le couronnement de tout son enseignement; — enseignement qu’on peut résumer en deux paroles du Seigneur Jésus lui-même: “Venez après moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes” (chap. 1:17); puis: “séparés de moi, vous ne pouvez rien faire” (Jean 15:5).

Trouvera-t-on un chrétien quelconque, habitué à étudier l’Écriture en présence de Dieu et avec l’aide de son Esprit, qui accepterait, comme mot final en harmonie avec l’évangile de Marc, cette parole: “car elles avaient peur”? Ne serait-ce pas contraire à toute l’analogie des Écritures? Je ne dis rien du cachet divin imprimé sur chaque mot des onze derniers versets du chapitre 16. Et pourtant on veut jeter du discrédit sur ce passage, malgré la force écrasante de l’évidence interne et externe en sa faveur. A dire vrai, le fait que les deux plus anciens manuscrits n’ont pas ce passage nous engage à nous tenir sur la réserve à l’égard de toutes leurs leçons, quelque excellentes qu’elles soient d’ailleurs. En effet, ces manuscrits ne sont que les copies d’autres, plus anciens encore; ils ont peut-être été altérés par des copistes qui croyaient pouvoir harmoniser, améliorer ou corriger la Parole de Dieu.

Quant à l’authenticité de Jean 7:53 à 8:12, il n’y a pas une évidence externe aussi forte que pour Marc 16:9-20. Cette évidence a plutôt un caractère négatif; mais quand on examine tout ce qu’on a écrit contre l’insertion du passage, on trouve que cela se réduit à bien peu de chose. — Parmi les plus anciens manuscrits qui contiennent tout le Nouveau Testament, on n’en trouve que deux: le Sinaï et le Vatican, qui n’offrent aucune trace de l’existence du passage en question, car le “codex Alexandrinus” (A) et le “codex d’Ephrem” (C) sont défectueux à cet endroit. On affirme, il est vrai, qu’en comptant les lignes, il est facile de s’assurer que ces deux documents ne contenaient pas ce passage; mais cela ne prouve rien, car il se peut que, dans les pages qui manquent, il y eût un espace, comme on le trouve dans deux autres manuscrit (L et D),* ou tel autre signe indiquant que le passage existait dans beaucoup de manuscrits, bien qu’il ne se trouvât pas dans celui dont on donnait la copie. La défectuosité des manuscrits A et C paraît bien significative, quand on la rapproche du fait que l’on a déchiré les deux pages qui contenaient le passage dans l’un des meilleurs manuscrits de l’ancienne version latine.{*En D, le copiste avait premièrement écrit: “Jésus donc leur parlait encore;” tout des suite après: “n’est pas suscité de Galilée;” puis, l’ayant biffé, il laissa un espace et recommença un peu plus bas.}

Il manque au manuscrit A le texte de Jean 6:50 à 8:52, quoiqu’il soit, d’ailleurs, presque sans défaut depuis Matthieu 25, plusieurs pages du commencement du Nouveau Testament ayant été perdues.

C ne contient que des fragments des évangiles, et fait défaut du chapitre 7:3 au chapitre 8:34.

Il n’y a que deux autres manuscrits à lettres onciales qui paraissent laisser le passage entièrement de côté. L’un, T, “codex Borgianus”, du cinquième siècle, ne contient que deux petits fragments de l’évangile de Jean, avec une traduction thébaïque; ce sont le chap. 6:28-67, et le chap. 7:6 jusqu’au chap. 8:31. L’autre, X, du neuvième ou dixième siècle, contient beaucoup de fragments des évangiles, et, entre autres, le chap. 7:1 jusqu’au chap. 13:5, sans interruption, en omettant le passage en question.

D, “codex Bezæ Cantabrigiensis”, du sixième siècle, et six autres manuscrits à lettres onciales, donnent le passage en entier; dans E et quatre autres, il est pointé.* Il se trouve également dans la plus grande partie des manuscrits de l’ancienne version latine, ainsi que dans la Vulgate; mais il paraît que les plus anciennes copies des versions syriaque et arménienne ne l’avaient pas.

{*Il y a, dans ces manuscrits, quelques différences quant aux mots du passage, différences qu’ils présentent, du reste, partout dans les évangiles. Au verset 2, D omet: “et étant assis, il les enseignait;” — au verset 9, D et quatre autres omettent: “l’ayant entendu et étant repris par leur conscience”; — et au verset 10, D et trois autres omettent: “et ne voyant personne que la femme”; et “ceux-là les accusateurs”. Le fond du récit est cependant mot à mot le même en D que dans le “texte reçu”.

J’ajoute cela en note, parce qu’une remarque du Dr Tregelles “on the printed text of the Greek testament” laisserait supposer le contraire.}

Les trois quarts environ des manuscrits grecs cursifs renferment le passage; il est pointé dans la neuvième partie et omis dans les autres.

Quoiqu’il en soit, il est hors de doute que ce passage ne se trouvait déjà plus dans un grand nombre des plus anciens manuscrits; et il paraît que les pères des trois premiers siècles n’en font pas mention. Augustin croit qu’on l’avait éliminé des anciens manuscrits de peur de favoriser l’immoralité; et sa remarque semble plausible si l’on tient compte que, dans le codex Veronensis de l’ancienne version latine, deux pages ont été déchirées précisément à cet endroit, et que les deux anciens manuscrits à lettres onciales A et C présentent la même lacune.

Mais le simple fait que l’histoire de la femme adultère manque aux plus anciens manuscrits, ne prouve pas l’absence de ce passage dans tous les manuscrits, mais seulement dans ceux dont ils étaient les copies. Il est positif que le passage était connu avant la date des plus anciens manuscrits qui nous restent, car Jérôme et Augustin constatent que, de leur temps, on trouvait des exemplaires qui le contenaient et d’autres qui ne le contenaient pas. Il existait dans l’ancienne version latine faite au deuxième siècle, mais non pas, il est vrai, dans toutes les copies. Il se pourrait donc que les copies en usage en Afrique, et dont se servaient Origène et Tertullien, ne l’eussent pas. Quatre manuscrits grecs cursifs placent le passage à la fin de Luc 21; dix ou douze autres à part, à la fin de l’évangile de Jean. Tout cela témoigne d’un profond sentiment que ce passage devait prendre place quelque part, marqué comme il l’est du cachet de l’autorité divine. — Pourquoi, en effet, le retrancherait-on sur le témoignage des plus anciens manuscrits à lettres onciales, puisque ceux-ci rejettent la fin de Marc, en dépit de l’évidence la plus incontestable de son authenticité?

Le cœur de l’homme est disposé au légalisme et opposé à la grâce souveraine. On comprend bien que des personne zélées, qui insistaient beaucoup sur la conduite morale, aient trouvé à propos de mettre de côté ce tableau si net et si positif de la grâce qui pardonne. Or, je le demande, qui aurait pu inventer un pareil moyen de réduire au silence la présomption insolente des Pharisiens? Tout le passage n’est-il pas digne de celui qui émerveilla ces mêmes Pharisiens en leur disant: “Rendez les choses de César à César, et les choses de Dieu à Dieu”? N’y a-t-il pas un accord parfait entre l’action du Seigneur envers la pauvre femme adultère, et cette douceur, cette humilité, cette bonté toutes divines qu’il manifestait en demandant un service à la femme de Samarie (Jean 4), afin de trouver le chemin de sa conscience et de son cœur?

Dieu, nous le répétons, a veillé sur sa Parole. Il n’a pas permis que les efforts de l’adversaire et la faiblesse de l’homme fissent disparaître une seule de Ses paroles.

La comparaison du passage avec le contexte nous donne, en outre, l’assurance la plus positive qu’il est bien à sa place. Le chapitre 8 est le premier d’une série de cinq chapitres qui traitent d’un nouveau sujet: celui de la lumière. Les cinq chapitres précédents traitaient de la vie. Les cinq suivants (13-17), de l’amour.

On peut remarquer que Jean, lorsqu’il entame un sujet nouveau, rapporte habituellement un incident qui sert à illustrer la doctrine que l’Esprit de Dieu a en vue. C’est ainsi que le chapitre 3 nous présente d’abord un respectable Pharisien, docteur de la loi, qui cependant avait besoin d’une nouvelle naissance, d’une vie nouvelle, pour entrer dans le royaume de Dieu. La suite du chapitre et les suivants, développent toute la doctrine de la vie dans sa source et dans ses effets.

Au chapitre 8, la manifestation de la lumière divine dans la personne de Jésus, — gloire plus grande que celle de la loi de Moïse (comparez 2 Corinthiens 3), — chasse du sein de la lumière ceux qui étaient venus pour juger selon la Loi. En même temps, elle bannit toute crainte du cœur de celle qui, atteinte et convaincue de péché, n’attendait plus que sa sentence de mort. “La lumière fut” dans l’âme de la pauvre femme; ensuite, “la lumière du monde” devenait, pour cette âme pardonnée qui allait suivre Jésus, une force morale pour la conduire selon sa responsabilité nouvelle de ne plus pécher, — responsabilité qui découlait de la position, toute nouvelle aussi, dans laquelle elle se trouvait placée. Le chapitre 13 introduit le touchant épisode qui nous montre le Seigneur lavant les pieds des apôtres. Les chapitres suivants nous révèlent les bénédictions indicibles qui découlent de ce privilège: “d’avoir part” avec Jésus.

Outre le passage capital dont nous venons de parler, il en est d’autres d’une importance moindre dans lesquels M. Oltramare a suivi Tischendorf, en s’écartant du “texte reçu”, sur des autorités peu satisfaisantes. Il suffit d’indiquer Luc 24, où ces mots: “et leur dit: La paix soit avec vous!” (verset 36), puis encore ceux-ci: “et fut élevé dans le ciel. Et eux, lui ayant rendu hommage” (verset 51, 52), sont bannis du texte sur l’autorité de D seul, entre tous les manuscrits à lettres onciales. Il est vrai que les plus anciens exemplaires de la première version latine les suppriment; mais toutes les autres versions sont d’accord avec le texte ordinaire. Il en est de même, comme on l’a déjà fait remarquer, pour les versets 12 et 40 tout entiers du même chapitre.

En somme, le lecteur trouvera, pour les évangiles, (version Oltramare), 151 leçons indiquées au bas des pages. En comparant, sur ce point, la version Oltramare avec la version de Vevey, on trouvera que celle-ci accepte 61 des leçons de la première; 24 y sont indiquées comme devant être reçues avec plus ou moins de réserve; de plus, les raisons que l’on peut alléguer pour ou contre y sont souvent données.

Restent donc 66 leçons, rejetées par la version de Vevey, en accord avec le “texte reçu”.

En outre, un grand nombre de variantes, — telles que l’insertion ou l’omission des articles ou des petits mots: “et; aussi; donc;” etc.; et d’insignifiants changements dans le temps des verbes, — ne sont indiquées que par un astérisque dans la version Oltramare, tandis que la version de Vevey les signale en toutes lettres au bas des pages.

Sous le rapport des leçons, il n’y a pas grand-chose à remarquer dans les Actes, les Épîtres et l’Apocalypse; les éditeurs étant pour la plupart d’accord; toutefois il peut être utile, à titre de comparaison, de présenter sous forme de tableau les différences entre la version Oltramare et celle de Vevey.

Version Oltramare

Nombre de leçons indiquées au bas de la page, dans lesquelles le “texte reçu” est abandonné.

Évangiles - 151

Actes - 72

Ép. catholiques - 76

Ép. de Paul - 207

Apocalypse - 75

La version Oltramare suit généralement la 8e édition* de Tischendorf; mais souvent aussi la 7e lorsque les deux éditions diffèrent entre elles. Tischendorf étant d’accord (à une ou deux exceptions près) avec toutes les leçons adoptées dans la version de Vevey,** il s’ensuit que, dans cette version, il n’y a guère de variantes d’avec le texte reçu que ne reproduise pas celle de M. Oltramare; — de sorte que le tableau ci-dessus donne une idée juste de la mesure comparative dans laquelle ces deux versions s’éloignent du “texte reçu”.

{*La 8e édition n’était pas encore publiée en entier lors de l’impression de la version Oltramare.

**Il va sans dire que Tischendorf présente beaucoup de différences avec le “texte reçu”, outre celles que la version de Vevey a adoptées.}

Nous n’avons rien dit jusqu’ici de la version de Lausanne,* parce qu’elle a été faite sur le texte grec des Elzevirs; mais du moment qu’il s’agit de la traduction, il faut en tenir compte. Elle est peut-être la plus littérale de toutes les traductions récentes, et penche tellement de ce côté que le sens est quelquefois en danger de se perdre, vu les différences d’idiome entre les langues grecque et française.**

{*La première édition de cette version parut en 1839, la quatrième vient de paraître.

**On peut citer comme exemple 1 Corinthiens 15:19, traduction qui défigure toutes les éditions de la version de Lausanne. Chose étrange, M. Arnaud est tombé dans la même faute, en faisant dire aux Écritures qu’il faut espérer en quelque autre chose à côté du Christ! — “Si, dans cette vie, nous avons mis notre espérance dans le Christ seulement, nous sommes de tous les hommes les plus misérables”. En conservant l’ordre des mots grecs on a détruit complètement le sens.

La note de la version Oltramare, à cet endroit, indiquant le leçon du “texte reçu”, ne peut qu’induire en erreur. La différence des leçons signalées est seulement dans l’ordre des mots “espérer” et “Christ” — ce qui n’affecte nullement le sens. Le texte adopté lit: “en Christ nous avons mis notre espérance;”; — le “texte reçu”: “nous avons mis notre espérance en Christ”; — dans les deux cas le mot “seulement” se trouve en grec à la fin de la phrase, séparé de “en cette vie” qui est au commencement. Mais que le lecteur n’en tire pas la conclusion que le sens soit douteux. Si le grec voulait dire: “en Christ seulement”, nous aurions l’adjectif “movnw/” au lieu de l’adverbe “movnon”. On retrouve dans le Nouveau Testament de nombreux exemples de cette construction. Comparez Matthieu 4:4; 1 Corinthiens 9:6; 14:36; Galates 6:4; 2 Jean 1, etc.

La règle poursuivie à outrance, de rendre le même mot grec par le même mot français a aussi beaucoup nui à la version de Lausanne.

Nous trouvons ainsi: “envoyé” pour “apôtre”; — “défenseur” pour “Consolateur” et “Avocat”; — “voyageurs de la dispersion” dans 1 Pierre 1:1; — “relèvement” pour “résurrection”; — “amen” pour “en vérité”; etc.}

La traduction Oltramare est, au contraire, si peu littérale qu’on se demande parfois, en la lisant, si elle n’est pas une paraphrase. En voulant s’efforcer d’expliquer quelques passages ou de les rendre plus clairs, le sens en a été complètement altéré et même perdu. De plus, on trouve des passages où l’idée de la divinité du Seigneur Jésus Christ semble avoir été écartée de la traduction. Cela acquiert une bien sérieuse importance aujourd’hui que de soi-disant “pasteurs” des brebis de Christ osent publiquement nier sa divinité. S’ils peuvent trouver dans les Écritures un appui à leurs blasphèmes, l’ennemi des âmes en tirera un double avantage. Il est de notre devoir de protester de toute notre force contre une pareille manière de traiter la Parole de notre Dieu. Nous nous proposons d’examiner en détail quelques-uns de ces passages.

Jean 1:1. On sera frappé de voir que le mot Dieu est écrit avec un “d” minuscule, quand il s’agit du Seigneur Jésus Christ: “La Parole était avec Dieu, et la Parole était dieu”. On se demande pourquoi?

Peut-être dira-t-on que c’est à cause du manque de l’article grec au mot “Dieu” la seconde fois, tandis qu’il se trouve à la première. Mais ceux qui connaissent un peu le grec verront ici, comme partout ailleurs, une preuve de l’admirable sagesse de la parole divine. — L’article devant “Qeov"” aurait fait de la phrase: “La parole était Dieu” une proposition réciproque: c’est-à-dire: la Parole était Dieu, et Dieu était la Parole, — ce qui donnerait lieu à toute sorte de fausses conceptions de la divinité. Sans l’article* la phrase ne peut avoir qu’une signification: la déclaration la plus nette, la plus positive de la divinité de la Parole faite chair.{*Comparez le grec dans les expressions: “Dieu est Esprit” Jean 4:24; et: “Dieu est amour” 1 Jean 4:8, 16.}

On est vraiment confus d’être obligé d’établir une vérité qui resplendit à chaque page des Écritures. Ce mot seul: “la Parole fut faite chair” ne pourrait évidemment pas se dire d’un homme né de la chair. Pourquoi donc M. Oltramare écrit-il “dieu” avec un “d” minuscule, quand il s’agit de Christ.*{*Dans la version de Vevey, l’emploi des minuscules, au lieu des majuscules honorifiques, est expliqué dans la préface. Dans cette version, on a suivi l’habitude du grec et on ne met des majuscules qu’aux noms propres. Le passage en question, Jean 1:1, est ainsi rendu dans la version de Vevey: “Au commencement était la parole; et la parole était auprès de Dieu; et la parole était Dieu”. Ce qui fait ressortir d’autant plus clairement la divinité de “LA PAROLE”.}

Dans Romains 9:5, M. Oltramare, qui a suivi la mauvaise ponctuation de Dr Tischendorf, a, de nouveau, fait violence au grec, en détournant de la personne de Christ l’expression “qui est sur toutes choses Dieu béni éternellement”. Il met un point après; “desquels selon la chair est issu le Christ”. Puis, commençant une nouvelle phrase, il ajoute: “Que celui qui gouverne toutes choses, en soit Dieu, béni éternellement”.

On n’a qu’à examiner les expressions semblables, contenues dans les écrits de Paul, pour comprendre qu’il ait fallu tordre le grec afin d’arriver à une pareille traduction*.{*S’il en était ainsi le grec aurait:

Eujloghto;" oJ QeoŸ" oJ w]n ejpi; pavntwn,”,

ou “Eujloghtov" o; w]n ejpi; pavntwn Qeov"”.

Comparez les passages Luc 1:68; Romains 1:25; 2 Corinthiens 1:3; 11:31; Éphésiens 1:3 et 1 Pierre 1:3.}

D’ailleurs, pourquoi dire: “ensoit béni”? Le “en” ne se trouve pas dans le grec. M. Oltramare a fait violence au sens du passage; et on peut ajouter qu’il l’a fait en dépit de toutes les versions anciennes et modernes* et de tous les écrits des pères dignes de notre confiance.{*Il est vraiment étrange de voir que Tischendorf, pour défendre sa ponctuation, ose citer les épîtres supposées qui ont été faussement attribuées à Ignace; aussi bien qu’un passage d’Eusèbe dont les tendances ariennes sont connues.

Voyez la note de M. Arnaud sur ce verset (Commentaire 3:74): “On a proposé deux autres traductions de ce passage, les uns mettent un point après Christ,… les autres après toutes choses… Ces deux traductions, qui font disparaître la divinité de Jésus Christ de l’enseignement de l’apôtre, sont forcées et exigent des constructions grammaticales arbitraires”.}

En accord avec la fausse interprétation donnée aux deux passages dont on vient de parler, on a introduit le petit mot “de” avant “notre Sauveur Jésus Christ” (Tite 2:13), de sorte que l’expression “grand Dieu” ne s’applique plus au Seigneur Jésus Christ.

Nous sommes pareillement frappés de la construction faussée et torturée de 1 Jean 5:20, où, par l’insertion répétée du mot “Dieu”, et par celle du mot “étant” avant “en son Fils”, on parvient à empêcher l’application des mots “le Dieu véritable” à “Jésus Christ”, en dépit du grec qui les unit de la manière la plus formelle.

Voici en regard les deux traductions:

Traduction ordinaire:

Il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable; et nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus Christ: Lui est le Dieu véritable et la vie éternelle.

Celle de M. Oltramare:

Il nous a donné l’intelligence afin que nous connaissions le vrai Dieu; et nous sommes en ce vrai Dieu, étant en son Fils Jésus Christ: il est bien le vrai Dieu et la vie éternelle.

La traduction extraordinaire de Jean 17:3, laisse aussi, dans l’esprit du lecteur, la même impression pénible. La connaissance personnelle de Dieu le Père et de Jésus Christ, dont parle le grec, est transformée, par la version Oltramare, de telle manière qu’elle ne devient guère que l’admission intellectuelle d’un dogme.

Traduction ordinaire:

Et c’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.

Celle de M. Oltramare:

Or c’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent, toi, pour le seul vrai Dieu, et pour Messie, Jésus que tu as envoyé.

Porter atteinte de quelque manière que ce soit à la divinité du Seigneur Jésus Christ, Emmanuel, “DIEU AVEC NOUS” est chose impardonnable à ceux qui se disent chrétiens; mais oser le faire dans une traduction des Saintes Écritures, est une hardiesse infiniment plus grave. C’est toucher au fondement de la foi chrétienne et faciliter l’œuvre de ceux qui, aujourd’hui, font tout leur possible pour la renverser.

L’ancienne parole: “Quoi! Dieu a-t-il dit…?” résonne de nos jours assez souvent à nos oreilles. Celui qui le premier l’a proférée, peut se transformer en ange de lumière (2 Corinthiens 11:14); mais quiconque a des oreilles pour entendre la vérité n’aura pas de difficulté à reconnaître en lui le séducteur de nos premiers parents dans le jardin d’Éden. Quel chef d’œuvre diabolique que la corruption de la Vérité même!

Dira-t-on que ces paroles sont trop dures? A notre avis elles ne sauraient l’être. Si le fondement est détruit, tout croule.

Après ce que nous avons fait ressortir, on ne sera pas surpris de trouver d’autres passages bien affaiblis, et leur sens détruit. Il faudrait un volume pour les examiner en détail. Contentons-nous de quelques exemples.

Nous avons déjà parlé de 2 Corinthiens 5:21. Ici, M. Oltramare suit Ostervald pour la première partie du verset: la seconde partie est une de ces paraphrases qui abondent dans sa version; il dit ici tout autre choses que l’original. Le passage est ainsi rendu: “Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a traité pour nous comme pécheur, afin que nous possédions en sa personne la justice qui vient de Dieu”. On n’a pas besoin de s’étendre sur la différence qui existe entre posséder une chose et la devenir (dans la Vulgate on trouve “efficeremur”); de même l’introduction des mots: “qui vient”, ne fait qu’obscurcir le sens.

En 2 Corinthiens 13:2, le passage est faussé de manière à contredire le grec et ce que l’apôtre avait avancé dans toute l’Épître* (notamment chapitre 1:15; 2:1). La seconde visite de l’apôtre n’était que projetée; elle n’avait pu se réaliser à cause de l’état moral des Corinthiens; car il ne voulait pas retourner à Corinthe avec tristesse. De là l’emploi de l’expression: “troisième” (chap. 12:14; 13:1), comparez chap. 1:16, où tout est expliqué. Faute de saisir cela, M. Oltramare parle en toutes lettres, non seulement d’une seconde visite, mais d’un “second séjour”, dont le grec ne dit absolument rien, non plus que les versions de Martin, d’Ostervald, d’Arnaud, de Vevey et tant d’autres. La version de Lausanne, qui lit: “comme [quand j’étais] présent…” a altéré le sens par l’introduction des mots entre crochets: “quand j’étais”.

{*Cette contradiction est moins apparente dans la version Oltramare, parce que, au chapitre 1:15, “une seconde grâce” est traduit par “un double plaisir”. Ce qui empêche que le lecteur ne rapporte le mot “grâce” à la visite projetée de l’apôtre: l’une des fautes cache l’autre, et le lecteur est induit dans une double erreur.}

Voici en colonnes parallèles:

La véritable traduction:

J’ai déjà dit et je dis à l’avance, comme si j’étais présent pour la seconde fois, et maintenant étant absent.

La version Oltramare:

Je vous l’ai déjà dit, et je vous en préviens; comme je fis lors de mon second séjour, étant présent, je le fais encore aujourd’hui que je suis absent.

Galates 4:7. “Par la grâce de Dieu” est une explication qui n’en est pas une. Le grec, suivant le texte adopté, dit: “par Dieu”.

Romains 7:24. “corps qui cause cette mort”, est également une interprétation fausse et incompréhensible de “ce corps de mort”, ou bien “corps de cette mort”.

De même, on trouve, en Hébreux 9:9: “amener à la perfection réclamée par la conscience” pour “rendre parfait quant à la conscience”. Cette différence est importante. C’est Dieu, non pas la conscience, qui réclame la perfection. Mais Dieu donne un bonne conscience, c’est-à-dire une conscience quitte du péché à ceux qui acceptent pleinement l’éternelle efficacité du sacrifice de Christ.

Jacques 4:5 ne se reconnaît plus dans la version Oltramare qui dit: “C’est avec jalousie que Dieu chérit l’âme qu’il a mise au-dedans de nous”. Malgré les difficultés que présente le passage, on se demande comment on a pu tirer un sens pareil de l’original qui dit: “L’esprit qui demeure en nous désire-t-il avec envie?”

Hébreux 9:14: Où M. Oltramare a-t-il trouvé les mots: “doué d’un” qu’il a insérés avant “esprit éternel”, dans le passage qui doit se lire ainsi: “Christ qui, par l’esprit éternel, s’est offert…”?

1 Timothée 1:4: “Avancent le règne de Dieu”, n’est certes pas une traduction juste de l’original qui dit: “l’administration de Dieu”; le texte reçu dit: “l’édification de Dieu”.

Les expressions Syzygos (Philippiens 4:3), et Kyria (2 Jean 1:1, 5), sont simplement des mots grecs que l’auteur n’a pas traduits, les prenant, assez mal à propos, nous semble-t-il, pour des noms propres.

Quelques personnes seront étonnées de la note mise au verset 19 de Jude, que M. Oltramare traduit ainsi: “Vous reconnaissez là ceux qui poussent à la séparation (T.R. là les dissidents), gent animale qui n’a point d’âme”.

Il s’agit tout simplement de l’omission du mot “eux-mêmes” qui se trouve ajouté à l’original grec dans le “texte reçu”. Tout le passage dans la version de M. Oltramare est l’une de ses paraphrases habituelles. Les mots “vous reconnaissez” sont une invention de l’auteur; et “âme” est substitué à “esprit” comme dans Jacques 4:5. La véritable traduction est la suivante: “Ceux-ci sont ceux qui se séparent [eux-mêmes], des hommes naturels qui n’ont pas l’esprit”. L’expression “s’ils se séparent”, par laquelle M. Oltramare rend un tout autre mot, verset 22 (puis confondez les uns s’ils se séparent”), veut dire seulement “qui contestent”, ou bien “qui font une différence”. On doit traduire cette phrase ainsi: “reprenez les uns qui contestent”.

L’Apocalypse est en général assez fidèlement traduite. On y trouve cependant “rejeton” pour “racine”, 5:5; 22.16; — “harpes sacrées” pour “harpes de Dieu”, 15:2; — “de cochers et d’esclaves” au lieu de “de corps et d’âmes d’hommes”, 18.13; — “vertus” au lieu de “justices”, 19:8.

En résumé, quand on voit l’original ainsi torturé, paraphrasé d’une manière inexacte, souvent même contredit, on a des raison suffisantes pour ne pas accorder de confiance à cette version qui ne peut guère être appelée une “traduction”. Les livres historiques eux-mêmes n’ont pas échappé à cette manie d’expliquer au lieu de traduire. Les mots ajoutés ça et là en italiques tiennent au système; mais, quelle que soit leur justesse, le lecteur est toujours à même d’en profiter ou de les rejeter; le fait qu’ils sont en italiques indique qu’ils ne se trouvent pas dans l’original.

Arrêtons-nous. Nous croyons avoir suffisamment exposé le caractère de la version Oltramare que viennent d’adopter “les chefs spirituels de l’Église de Genève”. Calvin approuverait-il ses successeurs? Nous ne le pensons pas. On nous dit dans la préface que “le protestantisme n’a jamais attribué à un traducteur quelconque le don d’infaillibilité; l’Église de Genève, en particulier, par sa tradition de révision permanente, a constamment rappelé que toute version est nécessairement une œuvre humaine et perfectible”. Nous en convenons, mais le sens dans lequel se fait ce “perfectionnement” n’en présente pas moins un symptôme très alarmant. Si l’Église de Genève est fidèlement représentée par ses chefs spirituels, et ses idées par les leurs, elle se trouve sur la pente glissante du rationalisme. Dans la version Oltramare, il n’y a ni fidélité à l’original, ni respect pour le divin Auteur des Saintes Écritures. Il semble qu’on ait oublié que cette Parole est l’Évangile du Dieu vivant “touchant son Fils, Jésus Christ, notre Seigneur” (Romains 1:3). On la traite comme n’importe quel livre classique que chacun arrange et explique à son gré, et l’on appelle cela: “la recherche du sens véritable”. Nous aurions cru que la recherche de la vérité consisterait à rendre l’original aussi littéralement que possible, de peur d’ajouter ou de retrancher quelque chose à la Parole divine. Mais non! les explications scientifiques de la théologie conviennent mieux aux philosophes du XIXe siècle! Dieu nous a dit d’avance où cette voie doit aboutir.

Il est possible que le mauvais usage qu’a fait le traducteur genevois des découvertes et de la critique modernes, conduise plusieurs chrétiens sincères à repousser toute révision du texte et les rattache plus fortement que jamais aux versions basées sur le texte reçu. Qu’ils veuillent bien considérer d’abord, que la Parole de Dieu ne peut rien avoir à redouter de toutes les investigations de la vraie science; ensuite que, de fait, les anciens manuscrits, versions et écrits des pères, ne font que confirmer d’une manière remarquable le texte qui nous a été transmis à travers dix-huit siècles et conservé par les soins admirables de notre Dieu. Ces soins, le chrétien n’en peut douter, Dieu les continuera; car il n’est pas possible qu’il laisse s’affaiblir la lumière qu’il a Lui-même donnée à ses enfants pour les amener, dans “l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature de la plénitude du Christ”.

APPENDICE

Il existe encore une nouvelle version en voie de publication, et qui paraît depuis plusieurs années par livraisons annuelles (ou à peu près), soit de l’ancien soit du nouveau Testament. En voici le titre:

La sainte Bible, ou l’Ancien et le Nouveau Testament. Traduction nouvelle d’après les textes hébreu et grec, par une réunion de pasteurs et de ministres des deux églises protestantes nationales de France.

Les livres suivants du Nouveau Testament ont déjà paru: Matthieu, Marc, Romains, et les deux épîtres aux Corinthiens. Une note sur la couverture de la quatrième livraison mentionne l’usage qu’ont fait les traducteurs du texte grec de Dr Tischendorf, 7° édition. Les passages qui s’écartent du “texte reçu” ne sont pas indiqués dans le corps de l’ouvrage. Le texte paraît se rapprocher beaucoup de celui de la version Oltramare; mais la traduction en est plus littérale et plus fidèle. Le passage célèbre, Romains 9:5, est presque aussi fautif que dans la version précitée. La divinité de Christ en est écartée.

Liste des versions modernes examinées dans cet opuscule.

ARNAUD. (l) Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus Christ, ou les livres sacrés de la nouvelle alliance. Version nouvelle, faite sur le texte comparé des meilleures éditions critiques, avec l’indication exacte des corrections apportées au texte reçu, etc. 1 vol. in-18°. Paris, 1858.
(2) Commentaire sur le Nouveau Testament, renfermant une analyse explicative du texte, des notes historiques et exégétiques particulières, de brèves introductions à chaque livre, et une version française faite sur l’original. 4 vol. in-12°. Paris, 1863.

RILLIET. Les livres du Nouveau Testament, traduits pour la première fois d’après le texte grec le plus ancien, avec les variantes de la Vulgate latine et des manuscrits grecs jusqu’au dixième siècle, les citations de l’Ancien Testament, etc. 1 vol. in-8° (en cinq parties). Paris. Genève, 1858.

VEVEY. (1) Les livres saints connus sous le nom de Nouveau Testament. Version nouvelle. 1 vol. in-16°. Vevey. St-Agrève (Ardèche), 1859.

(2) Les livres saints connus sous le nom de Nouveau Testament. Version nouvelle. Deuxième édition revue, suivant un texte revu de l’original grec. 1 vol. in-16°. Pau. Vevey, 1872.

OLTRAMARE. Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus-Christ. Version nouvelle. 1 vol. in-8°. Genève. Paris, 1872.

LAUSANNE. Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus Christ, traduit par une société de ministres de la Parole de Dieu sur le texte grec reçu, et suivi d’un choix de variantes. Quatrième édition revue et corrigée. 1 vol. in-8°. Lausanne, 1872.